Pourquoi est-il encore si difficile de se débarrasser du plastique ?
Aujourd’hui, ce n’est plus un secret pour personne, le plastique est un produit nocif, que ce soit pour nous ou pour l’environnement. En effet, il est fabriqué en brûlant des combustibles fossiles, la plus grande source d’émission de CO2.
De plus, son recyclage n’a pas de sens, seulement un tout petit pourcentage du plastique mondial se trouve réutilisé. Et pourtant, nous l’employons encore largement.
Alors, pourquoi est-il encore si difficile de s’en débarrasser ?
Anna-Liisa Palatu, CEO de Woola, a participé à une table ronde sur la question en compagnie de Lise Nicolas, cofondatrice de M. & Mme Recyclage et de Samuel Jouzel, CEO et cofondateur de Binocle, pour tenter de répondre à cette question.
Le plastique est encore utilisé à grande échelle…
Comment expliquer sa large utilisation, alors que l’on connaît ses méfaits ?
“Il est bon marché, et ce n’est pas forcément un mauvais matériau. Le problème c'est qu’on l’utilise mal : il est utilisé une fois puis jeté car le recycler coûte plus cher que sa fabrication."
— Anna-Liisa Palatu, PDG et cofondatrice de Woola
Lise reconnaît que le problème réside dans la manière dont le matériau est utilisé, et non dans le matériau en lui-même, et nous éclaire sur les principales caractéristiques du plastique. “Je pense qu'il y a un vrai besoin de compréhension sur le plastique et sa nocivité afin de ne pas polariser les débats”, ajoute-t-elle.
Elle poursuit : “C'est un matériau très intéressant : léger et solide. Si on compare bouteille en verre et bouteille en plastique par exemple, il va falloir produire beaucoup plus de verre que de plastique, donc il faudra extraire plus de matière."
"Le vrai problème réside dans nos usages du plastique : il faut changer nos modes de consommation pour éviter le plastique jetable au maximum. De plus c’est très énergivore : il n’est pas au prix juste quand on compare le coût énergétique de la consommation plastique.”
- Lise Nicolas, co-fondatrice de M. et Mme Recyclage
Samuel résume bien la situation : “Il faut commencer tout de suite à l’utiliser de manière intelligente car c’est une ressource limitée.”
…pourtant, il est difficile de créer une économie circulaire basée sur les plastiques.
Outre la question de l'utilisation du plastique, il faut aussi parler du défi que représente son recyclage. Cela peut paraître surprenant, mais d'un point de vue technologique, 100% du plastique peut être recyclé (Source).
Mais la réalité de la circularité des plastiques est bien différente de ce que nous aspirons à atteindre. Même dans l'Union européenne, considérée comme un leader mondial en matière de circularité des plastiques, seulement environ un tiers des plastiques jetés sont effectivement recyclés (Source).
“En termes de recyclage, il y a une grosse différence entre la théorie et la pratique,” indique Lise.
“Si on regarde les emballages à usage unique tout est en théorie recyclable mais c’est une filière qui nécessite un grand nombre de d'étapes, d'entreprises et d'interactions mises bout à bout et s'il manque un maillon de la chaîne, le recyclage ne pourra pas être effectué. Il ne faut pas croire qu'il existe une filière magique du recyclage des plastiques.”
- Lise Nicolas, co-fondatrice de M. et Mme Recyclage
Une autre question concerne la conception des produits en plastique, qui ne sont pas toujours prévus pour être recyclés.
“Si on faisait plus attention à sa conception, on pourrait plus facilement les recycler,” ajoute Samuel. "Nous ne devrions pas combiner le plastique avec d'autres matériaux d'une manière qui les rend plus difficiles à recycler - comme, par exemple, la manière dont le plastique bulle est souvent attaché à l'enveloppe en papier elle-même. Il faut donc aussi réfléchir à son éco-conception.”
P.S. C’est la principale raison pour laquelle la couche de laine des enveloppes Woola n'est pas attachée à l'extérieur en papier - de cette façon, les deux matériaux sont faciles à recycler.
Des alternatives existent, mais elles ne se valent pas.
Selon Lise, il faut faire une différence usage et matériau.
“En tant qu'usage : il est essentiel de faire passer en premier le réemploi ou la consigne. En tant que matériau, il faut se diriger vers des matériaux recyclés ou biosourcés, si besoin biodégradables par compostage par exemple et s’assurer qu’il y a les infrastructures pour les gérer en fin de vie.”
Mais pour être équivalentes ces alternatives doivent être légères, durables et pratiques à utiliser. Les alternatives d’origines végétales ou bioplastiques représentent-elles une solution viable ? Est-ce une solution miracle pour l’emballage du futur ?
“La principale différence entre plastiques et bioplastiques est que ces derniers sont fabriqués à partir de plantes et non de combustibles fossiles. Donc ils réduisent la demande de combustibles fossiles mais la plupart des bioplastiques ne sont pas compostables à la maison, uniquement grâce à une installation industrielle, donc c'est mieux, mais cela reste une solution temporaire".
— Anna-Liisa Palatu, PDG et cofondatrice de Woola
Et Lise ajoute : “les bioplastiques biodégradables sont la solution magique en théorie, le matériau qui est assimilé par la nature quand on en a plus besoin, mais le problème c'est de savoir qui gère ça en fin de vie (la pratique!).
Il y a aussi la question des ressources qui entrent dans la fabrication des bioplastiques. "Quand on fait du bioplastique, ce n'est pas des déchets du maïs ou de la canne à sucre, par exemple, qui sont utilisés. Sans plastique, ne veut pas dire sans pétrole, il faut bien alimenter les tracteurs ! Parfois des OGMs sont utilisés pour augmenter les productions."
"Donc les biodégradables pour l’emballage jetable en théorie oui, en pratique pour nous c'est un gros "no-go" car cela soulève de nombreuses problématiques et d'enjeux différents pour que l'on puisse se tourner vers cette solution là sans inquiétudes."
- Lise Nicolas, co-fondatrice de M. et Mme Recyclage
“Il était difficile de comprendre comment “réparer” l'industrie de l’emballage,” continue Anna-Liisa. Il a fallu beaucoup de temps pour comprendre la cause du changement climatique et la cause principale est les combustibles fossiles, qui permettent de fabriquer le plastique. Donc quand nous avons fabriqué notre produit, nous avions deux lignes directives : nous débarrasser des combustibles fossiles et de la mentalité de l’usage unique."
De plus en plus d'entreprises s'engagent dans cette voie.
"J'ai décidé de remplacer le plastique par des emballages en laine après une prise de conscience éco-responsable”, enchaîne Samuel. “On a enlevé tout le plastique qui ne servait à rien."
De plus, Binocle a réévalué son emballage pour le commerce électronique: "Comme nous avons une grosse partie e-commerce c’était l’occasion d'utiliser les enveloppes Woola : du carton naturel donc recyclable avec le papier et le carton, et on a la partie laine qui est intéressante car c'est un vrai déchet qui ne demande qu’à être réutilisé. De plus, on essaie de trouver des idées amusantes pour l’après envoi : gants de toilette, jouet pour animaux de compagnie..."
“Sur les emballages à usage unique, 60% de l'impact est dans la production” conclut Lise. “Donc l'énorme point fort de Woola est qu’on empêche l’impact lié à l'extraction de la ressource en utilisant un déchet. L'alternative idéale reste l’utilisation de déchets pour créer de nouveaux produits comme le fait Woola avec la laine de mouton."
Alors, quelles solutions pour changer le monde ?
En guise de dernière question, les panélistes ont été interrogés sur la manière dont nous pouvons changer le monde.
Pour Anna-Liisa, il faut arrêter l'utilisation des combustibles fossiles et du pétrole. Quant à Lise, un changement des modes de consommation doit être opéré, voir la ressource à sa réelle valeur pour l’employer, la réutiliser, la recycler. Et selon Samuel : une prise de conscience est nécessaire sur notre impact carbone au quotidien et sur le fait qu’il y avait une vie avant le plastique, une autre voie est possible.